Fromont Briens : avocats spécialisés en droit social

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Quelles obligations dans une réorganisation ? Pauline Larroque Daran et Benjamin Desaint, avocats au sein du cabinet Fromont Briens, nous apportent des réponses…

Quelles sont les principales obligations faites aux entreprises en matière de santé au travail, lorsqu’elles souhaitent mettre en place une réorganisation ?

La mise en œuvre d’un projet de réorganisation, assorti ou non d’une compression des effectifs, génèrent de multiples obligations à la charge des entreprises.

D’un point de vue strictement juridique, il va notamment s’agir, en amont de la mise en œuvre du projet, de mener une procédure régulière d’information et de consultation des instances représentatives du personnel.

Dans ce cadre, les entreprises s’interrogent souvent sur la nécessité ou non de consulter le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail (CHSCT). En effet, il n’y a pas d’automaticité de la consultation du CHSCT en cas de projet de réorganisation ou de restructuration des effectifs, y compris lorsqu’il s’agit d’un projet de licenciement collectif pour motif économique 1.

Selon les textes, le CHSCT doit uniquement être consulté « avant toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité, ou les conditions de travail » 2. C’est donc l’appréciation d’une part, de l’existence d’une modification des conditions de santé, de sécurité ou des conditions de travail, et d’autre part, de son caractère « important »,  qui va déterminer si la consultation du CHSCT s’impose ou non.

Dans la pratique toutefois, les projets de restructuration et de compression des effectifs sont quasiment systématiquement assimilés à des « aménagements importants » et le renforcement des obligations du CHSCT par la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 qui lui permet désormais de recourir à un expert en cas de consultation sur « un projet de restructuration et de compression des effectifs », traduit cette évolution.

Il est donc fortement recommandé aux entreprises de mener un processus informatif et consultatif auprès du CHSCT.

Dans ce cadre, l’employeur doit communiquer au CHSCT des informations suffisantes pour lui permettre d’apprécier l’impact de l’opération projetée sur la santé, sécurité et les conditions de travail. Le CHSCT doit en effet pouvoir se prononcer sur les effets de la nouvelle organisation du travail (éventuels risques psycho-sociaux liés au changement, éventuelle augmentation de la charge de travail des salariés, etc.) ce qui implique de lui fournir une connaissance relativement fine de cette future organisation.

À titre d’illustration, la jurisprudence a d’ores et déjà précisé qu’un PowerPoint de 5 pages dénué de toute explication sur l’organisation cible ne suffisait pas pour apprécier l’impact d’un projet de licenciement collectif pour motif économique  sur les conditions de travail des salariés demeurant dans l’entreprise 3.

Quels risques courent les entreprises qui négligeraient cette dimension ?

L’absence de prise en compte de l’impact d’un projet de réorganisation sur les conditions de santé, sécurité et de travail peut générer des risques multiples pour les entreprises.

Tout d’abord, les entreprises qui omettent la consultation du CHSCT, ou qui négligent l’information transmise en vue de sa consultation, s’exposent non seulement à une action sur le fondement du délit d’entrave au fonctionnement des institutions représentatives du personnel, mais surtout à une action du Comité d’entreprise en vue d’un allongement des délais de consultation 4.

En effet, si l’avis des différents comités consultés est désormais encadré par des délais préfix 5, il n’en demeure pas moins qu’ « en cas de difficultés particulières d’accès aux informations nécessaires à la formulation de l’avis motivé du comité d’entreprise, le juge peut décider la prolongation du délai prévu à l’article L. 2323-3». Or, il a d’ores et déjà été jugé qu’en cas de déficit d’information du CHSCT, le Comité d’entreprise pouvait valablement invoquer l’irrégularité de sa propre consultation 6.

S’agissant plus particulièrement des projets de licenciement collectif pour motif économique, les entreprises risquent bien évidemment de se voir opposer un refus de validation de l’accord collectif majoritaire ou d’homologation du document unilatéral, la DIRECCTE étant tenue, dans le cadre de son contrôle, de s’assurer que l’employeur a adressé au CHSCT des informations suffisantes pour lui permettre de rendre un avis éclairé 7.

Ensuite, un CHSCT insuffisamment informé est également, de mon point de vue, davantage enclin à faire usage de sa faculté de désigner un expert dont les honoraires – bien souvent excessifs – devront être pris en charge par l’employeur 8. D’expérience, les entreprises qui procèdent en amont à un travail minutieux d’analyse des effets du projet de réorganisation – le cas échéant, avec l’appui d’un cabinet extérieur spécialisé – limitent par ce biais la désignation d’un expert par le CHSCT.

Enfin, les entreprises négligeant cette dimension dans la conduite du changement auront naturellement plus de difficultés à défendre leurs intérêts en cas de contentieux relatifs à leur obligation de sécurité de résultat.

En synthèse, les entreprises ont donc tout intérêt, en amont du déclenchement du processus d’information et de consultation sur un projet de réorganisation,  à porter une attention particulière sur les incidences de celui-ci en matière de santé et des conditions de travail.

1 Instruction DGT du 19 juillet 2013
2 Article L. 4612-8-1 du code du travail
3 Conseil d’État, 29 juin 2016, n°389581
4 Cass.soc 4 juillet 2012, n°11-19.678 ; Cass.soc.10 juill. 2013, no 12-17.196.
5 Décret du 29 juin 2016
6 Cass.soc.10 juill. 2013, no 12-17.196 ; Cass.soc. 21 septembre 2016, n°15-13.363
7 Conseil d’État, 7 décembre 2015, n°383856
8 Article L. 4614-13 du code du travail