De l’utilité de l’ergonomie

Gérard Valléry,

Professeur des Universités

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Gérard Valléry est Responsable de la spécialité Dynamiques sociales, Travail et Organisations (DTO) et Directeur du Master 1&2 DTO, du parcours Facteurs Humains et Systèmes de Travail et du DU Stress et Santé au travail, au sein du Centre de Recherche en Psychologie (université Jules Verne de Picardie).

Il nous expose en quoi cette discipline s’inscrit à un carrefour : mobilisant différentes approches, l’ergonomie va pouvoir offrir plusieurs types d’application et participer à l’efficacité globale de l’entreprise. Parce que le travail est un tout, et un système. Explications…

Schématiquement, il existe 3 grands types d’ergonomie…

  • La plus connue, et la plus visible, est celle appliquée aux aspects physiques, qui contribue à l’aménagement des postes et des espaces de travail (dans le cadre d’un maintien dans l’emploi par exemple). La demande est très forte, mais cela reste une vision assez réductrice de l’ergonomie, même si elle participe aussi au bien-être des personnes.
  • Le second type est l’ergonomie cognitive. Elle recouvre tout ce qui est associé au traitement de l’information et au développement d’outils informatisés, et nécessite de comprendre comment des opérateurs vont pouvoir se les approprier et les utiliser au mieux. Depuis trente ans, elle analyse les processus cognitifs dans une perspective de conception d’applications complexes. Avec l’avènement des NTIC**, cette complexité s’est particulièrement renforcée ces quinze dernières années, et implique de concevoir des outils adaptés, répondant à des critères d’utilisabilité : il s’agit de les rendre simples et compréhensibles, afin de mieux prendre en compte tant l’expérience utilisateur que la maîtrise des coûts. On a trop vu de projets informatiques abandonnés en cours de développement parce que, en dépit d’une technologie adéquate, elle ne s’avérait adaptée ni aux individus ni à leur travail.
  • Le troisième type est l’ergonomie organisationnelle, encore peu associée à l’ergonomie dans les représentations, parce qu’aussi la plus récente et la plus novatrice. Elle touche à des dimensions plus politiques de l’entreprise, en visant à faire bénéficier l’individu et la structure de ses apports. En effet, des organisations capacitantes et apprenantes vont mieux tenir compte du potentiel de développement des personnes (plutôt qu’à ne les considérer que comme des exécutants), tout en offrant une certaine protection de leur santé : à la fois habilitantes et sécurisantes, elles devraient favoriser le partage de connaissances communes et la prise de responsabilités ; surtout dans un contexte de changement permanent.

** NTIC : nouvelles technologies de l’information et de la communication

La question est bien de comment créer des organisations adaptées à l’homme, et non l’inverse, en partant de ses besoins, des parcours, des réalités, en lien avec un projet d’entreprise qui intègrera à la fois l’individu et le collectif. C’est donc la forme la plus élaborée de l’ergonomie qui intègre à la fois les moyens et outils de travail dans un ensemble coordonné que forme l’organisation : les ergonomes affichent ainsi de plus en plus l’organisation comme un objet à traiter, un véritable enjeu, alors qu’ils ne sont pas forcément attendus sur ce terrain.

Si je prends l’exemple de la refonte d’un système d’information, l’ergonomie appliquée en amont va permettre d’analyser comment les gens travaillent, et avec quelles contraintes, pour mieux éclairer les concepteurs dans l’élaboration de leur méthodologie. Elle met en débat les réalités du travail pour nourrir des choix, parce que l’organisation, au cœur du travail en termes de définition de contenu, de périmètre et de responsabilités, prime sur la technique.

Ancrés dans des spécialisations et associés à des demandes spécifiques, ces 3 types d’ergonomie, aux domaines d’application variés, peuvent apparaitre de manière séparée, comme si le travail pouvait être « découpé » en dimensions physiques, cognitives et organisationnelles ; ce qui est bien artificiel. En fait, ces dimensions sont intimement liés dans les situations travail, elles forment le travail comme un tout pour une ergonomie qui vise une approche globale et systémique à travers  l’analyse du travail réel : un opérateur travaillant devant un écran va mobiliser son physique et sa tête tout en s’inscrivant dans un cadre organisationnel qui définira la qualité de son travail, son bien-être et son efficacité. Un opérateur subissant des conditions de travail difficiles sera moins performant, etc.

La santé au travail, un véritable enjeu…

Concernant la santé au travail, véritable enjeu en matière d’efficacité, celle-ci est toujours considérée comme un coût et non comme une ressource à valoriser de manière durable. C’est un apport de taille dans l’accompagnement au changement des entreprises, surtout si la santé est considérée dans toutes ses dimensions physiques et psychologiques.  Idéalement, il faudrait pouvoir intégrer la démarche ergonomique en amont des transformations, pour préparer ces changements. Mais souvent, les nouvelles organisations sont pensées indépendamment de la connaissance du travail réel : que font les gens, avec quels outils, et selon quelles interactions ? Plutôt que d’étudier des fiches de poste théoriques, regardons qui travaille et comment faire évoluer une catégorie vers une fonction future. C’est ainsi particulièrement vrai pour les métiers de service.

Prenons encore comme exemple le déménagement d’un siège social : les Services Généraux vont travailler sur la structure et sur des plans pour distribuer les espaces de travail. Pourtant c’est aussi l’occasion de repenser voire d’améliorer les modes de communication, afin de créer des situations de travail plus confortables et efficace.

Enfin, cet éclairage va généralement s’enrichir d’un partage de points de vue : celui de la Direction, celui de l’opérateur – expert de son travail, et celui des représentants du personnel. Autant de lectures à intégrer, par le dialogue, dans la transformation des situations de travail. »